Extraits du livret Laperrière

Sur mes toiles l'Amérique du Nord se met à jazzer. Elle vibre et s'élance vers son destin, hommes et bêtes bouche ouverte.

Je suis en "état de création".

C'est le règne tout-puissant du rythme qui vous connecte au monde, qui vous prouve que la beauté existe et que vous êtes plus fort que la mort.

C'est une surabondance d'être intense comme faire l'amour, sauf qu'ici la main, comme par miracle, transcrit les images du cerveau.

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> Ô déesse-mère de la Migration


Ce beau vent du large qui gonfle l'inspiration de Denise Laperrière, et qui vient de si lointain, de si d'antan, de si profondément dans l'esprit universel, qu'on risque de le mal entendre.

Peinture intelligente que la sienne, sans rien abdiquer pour autant de la spontanéité de sa facture ni du tremblement sensuel de sa touche : mais ses vastes cortèges de migration se fondent naturellement dans la mystérieuse et fascinante dimension que Carl Jung évoquait sous ses archétypes :" Notre conscient est loin de tout comprendre, mais l'inconscient se souvient toujours des choses sacrées, immémoriales, aussi étranges qu'elles puissent être, et nous les rappelle à la première occasion. "

Et cette première occasion se prolonge dans le sillage de la déesse-mère originelle, celle de la Migration, entre Amoureux, Chasseurs et autres motifs qui traversent sous le croissant de la lune les hautes saisons picturales de notre artiste : nouveau lieu du Sacré qui transgresse les frontières du Temps pour mieux retrouver la racine de l'imaginaire.

Guy Robert
fondateur du Musée d'Art Contemporain
de Montréal, historien et critique d'Art

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> Denise Laperrière : " Je peins mes images. "

Il y a une crucifixion où on voit les seins de Dieu. On ne les devine pas : on les voit. Il y a une ascension où on voit la vulve de Dieu. Il ne s'agit pas d'une évocation, mais bien de la révélation de la face cachée qui était le manque de Dieu. On voit Dieu fait femme, Dieu s'éclatant dans la dépense de l'énergie femelle. Il n'y a pas de traduction à effectuer. L'image est directe, jamais parasitée de messages à découdre. Elle n'est pas un lieu d'interprétation de la nature ou du cosmos : Elle vous déracine dès la bouche les mots qui vous gargarisent.

Elle dit : " Je peins des images ". Il y a les glissements perpétuels des oeufs dans le temps matriciel, leur nage, leur suspension dans l'éblouissement de l'imminence, leur envol d'amants siamois couvant le monde, leur tête chauve au cou orné de col de fourrures. Il y a le battement incessant de la métamorphose. Ici, l'oeil qui voit épouse étroitement l'oeil qui pense. C'est de ce couple que jaillit l'incarnation du monde.

Suzanne Jacob
auteure

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Elle peint de la chair. En fusion, en formation, en mutation, en migration. De la chair, de la chair sauvage qui bout sous l'effet irradiant de soleils inflexibles. De la chair qui se transforme et se sait transformée, une chair pleine d'atavismes et tournée pourtant vers son douloureux destin, qui fuit sur un sentier à jamais battu.

La peinture de Laperrière est faite de cette matière dont on fabrique les mondes. De force, elle nous ramène au moment tragique où la créature humaine a pris sa conscience sous le bras, nous fait descendre un à un les échelons de l'ADN jusqu'à cet instant confus inscrit dans notre mémoire génétique où, maîtrisant nos peurs, nous avons commencé à tourner le dos à la nature, à notre nature.

Laperrière peint et dépeint la gestation de l'univers conscient...


Pierre Tourangeau
journaliste